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(culturepop)*
15 novembre 2006

Un peu d'amour

J'y retournai le lendemain, la marche fut épuisante, à chaque pas je me convainquais un peu plus qu'elle avait pensé du mal de moi, ou pire, qu'elle n'avait pas pensé à moi du tout, je marchais la tête basse, le couvre-chef à large bord enfoncé sur les yeux, quand on cache son visage au monde, et ce fut pourquoi, au milieu de ma jeunesse, au milieu de l'Europe, à mi-chemin de nos deux villages, sur le point de tout perdre, je me heurtai à quelque chose qui me renversa par terre. Il me fallut plusieurs inspirations pour reprendre mes esprits, je crus d'abord que je m'étais cogné contre un arbre, mais cet arbre devint une personne, qui se remettait elle aussi du choc, sur le sol, et puis je vis que c'était elle, et elle vit que c'était moi. "Bonjour", dis-je en m'époussetant, "Bonjour", dit-elle. "Ce que c'est drôle." "Oui." Comment expliquer ? "Où vas-tu ?" demandai-je. "Je me promène, dit-elle, et toi ?" "Je me promène." Nous nous aidâmes à nous relever, elle chassa des feuilles de mes cheveux, j'eus envie de caresser les siens, "Ce n'est pas vrai", dis-je, sans savoir que ce seraient les mots qui sortiraient ensuite de ma bouche, mais voulant qu'ils soient miens, voulant, plus que je n'avais jamais voulu quoi que ce soit, exprimer le centre de mon être, et qu'il soit compris. "Je venais te voir, lui dis-je. Je suis venu chez toi depuis six jours. Pour je ne sais quelle raison, j'avais besoin de te revoir." Elle se tut, je m'étais ridiculisé, il n'y a rien de mal à ne pas se comprendre soi-même et elle éclata de rire, elle rit plus fort que j'avais l'impression d'avoir jamais entendu rire, le rire amena les larmes, et les larmes amenèrent d'autres larmes, et puis je me mis à rire aussi, rire de honte, une honte profonde, totale, "Je venais vers toi", dis-je encore, comme pour mieux m'enfoncer dans ma merde, "parce que je voulais te revoir", elle n'arrêtait pas de rire, "C'est donc pour ça", dit-elle quand elle fut capable de parler. "Pour ça ?" "C'est pour ça que, depuis six jours, tu n'étais pas chez toi." Nous cessâmes de rire, je pris le monde à bras-le-corps pour le remettre en ordre et j'aboutis à une question que je lui lançai : "Je te plais ?"


Jonathan Safran Foer, Extrêmement fort et incroyablement près

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Commentaires
B
Je l'ai terminé hier soir, un vrai délice, moins bouleversant que Tout est Illuminé, mais certains passages restent grandioses...<br /> <br /> Allez Jonathan! La Suite!!!!
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